Comme vous l’avez peut-être suivi, des jeunes “mineurs non accompagnés” se sont trouvés en difficulté à Besançon, et ont dormi sous des tentes sur le parking d’Arènes.
Bien que n’étant pas compétente pour le faire, la Ville de la Besançon a organisé leur mise à l’abri grâce à une proposition de la Présidente de Loge.GBM, l’Adjointe socialiste à la Maire de Besançon, Carine Michel.
Si le sort des jeunes concernés s’est amélioré grâce à cette intervention, il n’en demeure pas moins que cet épisode a mis en relief la situation ubuesque de ces jeunes : non mineurs, ces jeunes ne sont pas pour autant reconnus majeurs… et se trouvent ainsi sans aucun droit, sans hébergement ni interlocuteur, alors même qu’ils sont en cours de recours auprès du Juge des Affaires familiales.
C’est pourquoi une motion a été déposée à l’initiative du Groupe Socialiste au nom de l’ensemble de la Majorité municipale lors du Conseil municipal du lundi 6 novembre 2023 pour demander la mise à l’abri et la clarification urgente du droit que la situation de ces jeunes exige.
VILLE DE BESANÇON
Conseil municipal du Lundi 6 Novembre 2023
Voeu déposé par les Groupes Socialiste, EELV-SC, Communiste, Génération·s et À Gauche Citoyens ! de la Majorité municipale
Mineurs non accompagnés déclarés « non mineurs » : la dignité humaine impose une mise à l’abri et une clarification urgente du droit
Samedi 30 septembre 2023, la Ville de Besançon a constaté l’installation d’un campement occupé par plusieurs dizaines de jeunes migrants sur le parking Arènes, qui a interrogé et choqué au sein de la population. Ces personnes étaient installées très sommairement, dans des conditions difficiles, insalubres, vulnérables aux aléas météorologiques : ce sont des conditions indignes.
Après leur arrivée sur le territoire, ces jeunes migrants qui se déclarent mineurs, sont orientés vers le Département du Doubs, responsable légal de leur prise en charge.
Le Département procède à l’étude de leur dossier administratif afin d’évaluer leur minorité.
A l’issue de l’instruction, deux décisions sont donc possibles :
- soit le Département du Doubs déclare que le demandeur est effectivement mineur et il est placé sous sa protection et pris en charge ;
- soit le Département du Doubs déclare que le demandeur n’est pas mineur, et de ce fait le Département ne le prend pas en charge.
Un vide juridique d’ampleur se pose alors pour les intéressés : considérés non mineurs par le Département, ils ne sont pas pour autant considérés majeurs par l’État qui ne les prend donc pas en charge non plus. Or, toute personne majeure relève en effet de la responsabilité de l’Etat.
On constate que certains jeunes ayant reçu un refus du Département et de l’Etat concernés déposent un recours devant le Juge des enfants. Toutefois, ce recours n’est pas suspensif et dans l’attente, ni le Département du Doubs, ni l’État ne les prennent en charge.
C’est dans cette situation que se trouvaient les jeunes, occupant le campement éphémère du parking Arènes. Il n’était pas acceptable pour la Ville de Besançon et ses élu·e·s que ceux-ci vivent et dorment dans des conditions indignes les plaçant en grande vulnérabilité.
Constatant que ces jeunes à la rue ne bénéficiaient pas de ces droits et garanties élémentaires durant plusieurs jours, la Ville de Besançon a pris l’initiative, avec le bailleur Loge.Gbm, de les mettre temporairement à l’abri à partir du mercredi 4 octobre 2023.
Il n’est pas acceptable pour des élu·e·s de la République, toutes appartenances partisanes confondues, de constater que la construction juridique de démarches administratives conduise à des situations où des personnes se trouvent sans droit, sans interlocuteur ou sans solution préservant leur dignité.
Rappelons que le dispositif de veille social départemental, placé sous l’autorité du Préfet de département, est chargé « d’accueillir les personnes sans abri ou en détresse » et « les orienter vers les structures ou services qu’appelle leur état »[i]. Cet hébergement d’urgence comprend le gîte, le couvert, l’hygiène ainsi qu’une évaluation médicale, psychique et sociale.
La situation née de l’addition d’une décision du Département du Doubs, de l’attente du jugement de la part du Juge des enfants et de l’absence d’intervention de l’État avant une décision juridique définitive n’est pas humainement acceptable car nous nous trouvons avec de jeunes personnes sans droit.
S’il est communément admis que les enfants sont l’avenir de la nation ou encore que, comme le disait Nelson Mandela « Rien ne révèle mieux l’âme d’une société que la façon dont elle traite ses enfants », il est important de rappeler les engagements de la France dans ce domaine et les droits dédiés aux enfants. La France a été le deuxième pays européen à ratifier la Convention Internationale des droits de l’Enfant le 7 août 1990. La Convention de 54 articles énonce que chaque enfant a :
- le droit d’avoir un nom, une nationalité, une identité
- le droit d’être soigné, protégé des maladies, d’avoir une alimentation suffisante et équilibrée
- le droit d’aller à l’école
- le droit d’être protégé de la violence, de la maltraitance et de toute forme d’abus et d’exploitation
- le droit d’être protégé contre toutes les formes de discrimination
- le droit de ne pas faire la guerre, ni la subir
- le droit d’avoir un refuge, d’être secouru, et d’avoir des conditions de vie décentes
- le droit de jouer et d’avoir des loisirs
- le droit à la liberté d’information, d’expression et de participation
- le droit d’avoir une famille, d’être entouré et aimé.
La Ville de Besançon a reçu le titre de « Ville Amie des Enfants » par l’UNICEF et est ville accueillante, signataire[ii] de la Charte du réseau ANVITA.
Cette motion s’inscrit pleinement dans l’esprit des avis, recommandations et engagements internationaux du Guide pratique de l’Agence européenne pour l’asile[iii] de 2018 ; de la Garantie européenne pour l’enfance[iv], adoptée par le Conseil de l’Union européenne le 15 juin 2021 ; de la Stratégie du Conseil de l’Europe pour les droits de l’enfant 2022-2027[v] de décembre 2022 et des recommandations adressées à la France par le Comité des droits de l’enfant des Nations unies[vi] le 2 juin 2023.
C’est pourquoi les élu·e·s du Conseil municipal de la Ville de Besançon, fidèle à leurs engagements :
- Rappellent de manière générale que toute personne sans abri ou en détresse présente sur notre territoire doit avoir accès à un hébergement d’urgence quelle que soit sa situation, via le dispositif départemental de veille sociale placé sous l’autorité du Préfet ;
- Constatent la prise en charge reconnue du Département du Doubs pour tous les mineurs non accompagnés confirmés comme tels par ses services. Ils soulignent en outre qu’un nombre croissant de demandes occasionne un impact notamment financier qu’il est nécessaire de relayer au niveau national afin de soutenir les Départements dans cette mission ;
- Constatent la situation juridique lacunaire des jeunes qui sont considérés non-mineurs par le Département du Doubs, sans pour autant être pris en charge comme majeurs par l’État, et sans solution dans l’attente du jugement qu’ils sollicitent auprès du Juge des enfants. Ils soulignent par ailleurs l’accompagnement essentiel assuré par des associations locales qui militent au quotidien pour que ces jeunes aient des conditions de vie moins difficiles ;
- Appellent le Département du Doubs et l’État à trouver des solutions provisoires permettant d’assurer la dignité et l’hébergement d’urgence des jeunes concernés par l’attente du résultat de leur recours auprès du Juge des enfants, dans l’attente de la clarification de la législation urgente que nous appelons de nos vœux ;
- Appellent Madame la Ministre des Solidarités et des Familles et Monsieur le Ministre de l’Intérieur et des Outre-mer à prendre toutes les mesures nécessaires afin d’éviter toute situation de « non droit » plaçant ces jeunes dans des situations inextricables ;
- Appellent les Parlementaires, et plus particulièrement :
Monsieur le Député de la 1e circonscription du Doubs, Laurent CROIZIER
Monsieur le Député de la 2e circonscription du Doubs, Éric ALAUZET
Madame et Messieurs les Sénateurs du Doubs, Annick JACQUEMET, Jacques GROSPERRIN, Jean-François LONGEOT
à prendre tout initiative de contrôle, questionnement, enquête ou initiative législative destinée à répondre à ce manque manifeste de clarté légale, préjudiciable à l’exercice de droits fondamentaux de personnes situées sur les territoires qu’ils représentent ;
- Apportent leur soutien à toute personne publique comme privée contribuant à un accueil digne des personnes temporairement sans abri sur le territoire et leur orientation vers un parcours durable assurant a minima l’exercice de leurs droits fondamentaux.
[i] Code de l’Action Sociale et des Familles, article L. 345-2 et suivants.
[ii] Conseil municipal de la Ville de Besançon, 27/02/2022, rapport n°5. Source : https://datasets.grandbesancon.fr/fichiers/delibs/villeDeBesancon/conseilMunicipal/2022/20220127/0000A7D3.PDF
[iii] « Guide pratique de l’European Asylum Support Office sur l’évaluation de l’âge, 2e édition » indiquant que « le bénéfice du doute doit être accordé dès qu’apparaît un doute concernant l’âge déclaré, puis tout au long de la procédure d’évaluation de l’âge et jusqu’à l’obtention de résultats concluants [et] le demandeur devrait être considéré et traité comme un enfant jusqu’à preuve du contraire ». Source : https://euaa.europa.eu/sites/default/files/EASO-Practical-Guide-on-Age-Assessment-2018_FR.pdf
[iv] Cette garantie vise à garantir aux enfants dans le besoin un accès à cinq services essentiels : l’accueil du jeune enfant, l’éducation, les soins de santé, un logement décent et une alimentation adéquate. Source :https://data.consilium.europa.eu/doc/document/ST-9106-2021-INIT/fr/pdf et Communiqué explicatif associé au document : https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2021/06/14/access-to-key-services-for-children-in-need-council-agrees-european-child-guarantee/
[v] Cette stratégie indique que « les États devraient veiller à ce que les personnes soumises à une procédure d’évaluation de l’âge soient présumées mineures tant que cette procédure n’indique pas le contraire ». Source : https://rm.coe.int/strategie-du-conseil-de-l-europe-pour-les-droits-de-l-enfant-2022-2027/1680a60572
[vi] Il est demandé à la France d’appliquer notamment le principe de présomption de minorité lors de la procédure d’évaluation de l’âge y compris pendant la procédure judiciaire : le jeune doit ainsi être traité comme un enfant dans l’attente de l’examen de sa situation par le juge pour enfant. Source : https://www.cncdh.fr/sites/default/files/2023-06/Observations%20France%20CRC_C_FRA_CO_6-7_52893_E%20%281%29.pdf et version française sur le site de la Commission nationale des droits de l’Homme : https://www.cncdh.fr/actualite/droits-de-lenfant-en-france-le-comite-des-droits-de-lenfant-des-nations-unies-rend-ses